À l’été 1894, Sarah Bernhardt, belle et farouche artiste de 50 ans, est une star internationale, qui a parcouru les cinq continents. Lasse de ses nombreuses et récentes tournées, elle se laisse convaincre par son ami, le peintre Georges Clairin, chez qui elle réside à Concarneau, de partir à la découverte de Belle-île.
Belle-île, en cette toute fin du XIXème siècle est loin d’être une île méconnue et déserte, bien au contraire ! Maxime du Camp, Gustave Flaubert, Claude Monet, Octave Mirbeau, John-Peter Russel…Ils sont nombreux les artistes à avoir déjà parcouru la lande belliloise. L’arrivée du chemin de fer jusqu’à Quiberon (1882), la traversée à bord d’un vapeur de la compagnie de l’Union Belliloise, une excursion en voiture à cheval jusqu’à la côte sauvage avec ses grottes et ses paysages époustouflants, séduisent un nombre toujours plus grand de touristes !
Si cette excursion n’a donc rien d’extraordinaire en soi, le coup de foudre de Sarah Bernhardt pour le fortin de la Pointe des Poulains défie toute raison ! Construit en 1846, il avait pour vocation de défendre l’extrémité septentrionale de cette île, convoitée depuis toujours par les puissances rivales de la France. Or, la France de 1894 n’est déjà plus la même…Les progrès de l’artillerie et l’évolution des relations internationales ont rendu obsolète ce petit fortin simple édifié sur deux niveaux. Cerné par l’océan, dans un écrin de rochers sculptés par l’érosion – comme le célèbre rocher du Chien – ce fortin se dresse dans une nature qui semble indomptable…Pas pour Sarah, que rien n’effraie et que le caractère un peu sauvage du lieu séduit même complètement !
Le 11 novembre 1894, elle entre donc en possession du fortin qui sera pendant près de 30 ans son refuge estival, loin du tumulte de la vie parisienne…Quoi que ! Car, il n’est pas dans les habitudes de notre star de vivre en recluse ! Chaque été, c’est toute une cour composée de parents, d’amis, d’artistes qui débarquent aux Poulains.
Évidemment, le fortin devient vite insuffisant pour y loger toute la troupe. En 1897, elle fait donc construire face au fortin, un long bâtiment blanc, la Villa des Cinq Parties du Monde (actuel Espace muséographique Sarah Bernhardt), composé de cinq chambres (chacune portant le nom d’un continent) pour y accueillir notamment sa famille. D’autres constructions suivront : la Villa Lysiane (actuelle Maison du Littoral) puis la Villa Simone à l’entrée de Sauzon, avant l’acquisition en 1907 du manoir de Penhoët (qui sera détruit par les Allemands en 1944).
Petit à petit, la Pointe des Poulains est donc devenue le théâtre des opérations excentriques de notre Divine, de sa famille, de ses amis…Des vacances heureuses que sa petite fille Lysiane consigne avec amour, et que vous pourrez découvrir grâce à une visite avec audio-guide à l’espace muséographique.
Tout est désormais en place pour que se déroule à l’ombre bienveillante du Phare des Poulains, des vacances en la précieuse compagnie de la mère, de la grand-mère, de l’amie que tout à chacun surnomme Great. Dans le lot des fidèles il y Georges Clairin, bien sûr, son Jeojotte..Un peu fou, très drôle, c’est un peintre du mouvement orientaliste, qui a voyagé en Egypte avec Camille Saint-Saëns, et Reynaldo Hahn, compositeur, chef d’orchestre, chanteur et critique musical français d’origine vénézuélienne, qui fut le principal compagnon de Marcel Proust.
Les journées se succèdent sans que jamais l’ennui ne gagne cet aréopage d’artistes et d’amis. Bains d’algues, sieste au “Sarahtorium” avant une excursion, pique-niques à la ferme de Calastrène – à grand renfort de mobilier et de domestiques ! – parties de tennis qui ne doivent avoir qu’un vainqueur (Sarah Bernhardt, bien entendu), dîners agités de mille et une conversations où Sarah exerce ses talents oratoires…
Si Sarah Bernhardt a dû faire face, un temps, au courroux des pêcheurs de Sauzon – son installation aux Poulains les privait en effet d’un de leurs coins de pêche favoris – elle a su rapidement conquérir le cœur des bellilois…
Faisant preuve d’une grande solidarité, même de retour à Paris, elle n’oublie pas ses compatriotes insulaires. À l’hiver 1911, alors que la famine guette l’île, les pêcheurs ne pouvant quitter le port tant les tempêtes se succèdent, elle organise dans son théâtre (actuel Théâtre du Châtelet) une matinée de gala de soutien à une initiative locale de boulangerie coopérative : “Le pain d’hiver des pêcheurs de Belle-Île-en-Mer”…Une ambassadrice tout autant qu’une protectrice.
À sa mort, en 1923, ils seront d’ailleurs très nombreux à Belle-Île à lui rendre un dernier et bel hommage : une messe est célébrée en l’église du Palais et les différentes municipalités insulaires font livrer des bouquets de camélias qui viendront couvrir le pont-levis du fort des Poulains. Sarah Bernhardt, qui aurait aimé faire du rocher des Poulains sa dernière demeure, est enterrée à Paris, au cimetière du Père-Lachaise (division 44).
Si vous passez à Belle-Île, à la Pointe des Poulains, tendez l’oreille : ici résonne encore la voix de Sarah Bernhardt…ici, se fait encore sentir sa présence. Celle d’une femme unique et généreuse, une femme du XXème siècle, à l’avant-garde, qui n’aura eu toute sa vie, qu’un seul mot d’ordre : Quand Même !
Texte repris du site de l'OT de Belle-île-en-Mer https://www.belle-ile.com